Questions pour un champion
Entretien avec Jean Donnadieu, président de la JSF Nanterre
8 juin – 18 septembre (jour de cette interview) : 102 jours après le titre de champion de France de Pro A, le président Jean Donnadieu dresse un état des lieux contrasté, et précise les conditions d’une évolution sereine.
Un peu plus de trois mois après le sacre à Coubertin, que reste-t-il de cette douce euphorie ?
Jean Donnadieu. D’abord un immense bonheur, partagé, au-delà des Nanterriens, par des milliers de Français qui se sont reconnus en nous. Les témoignages sont venus de partout. Mais, dès le lendemain, la montagne était devant nous. Nous n’étions pas programmés pour devenir champions de France. Ni sportivement avec 15 victoires et 15 défaites en saison régulière, même si on n’a pas volé notre titre, ni structurellement. Assumer un titre aurait certainement posé moins de problème à l’un des membres du Top 4 de Pro A. Pour nous, derrière les feux de la rampe, c’était l’Everest, un challenge monumental.
Concrètement, à quoi avez-vous dû faire face ?
C’est une course contre la montre. D’abord, il y avait ce cahier des charges de l’Euroleague, (447 pages en anglais). Il a fallu recruter du personnel, de plus, la période des vacances nous a compliqué la tâche. Et nous étions aussi en pleine restructuration interne avec le passage en société, programmé, lui, depuis longtemps. Il a ensuite fallu trouver une salle. Rouen ou Carpentier ? On a fait le choix d’une salle parisienne pour nos supporters, mais tout restait à faire : la concertation entre les villes de Nanterre et Paris, l’aménagement de cette halle aux normes Euroleague, le partage des installations avec le PSG Hand et Paris-Levallois. Parallèlement, il fallait trouver de quoi financer une hausse de notre budget de 50 %, un chantier énorme.
Où en est la question du diffuseur télé ?
On attend que l’Euroleague se détermine. Les conséquences de ce retard sont terribles pour nous. Sans diffuseur, pas de calendrier, pas de billetterie, et point d’interrogation sur les droits TV. Comment construire un budget dans ces conditions ? Doit on prévoir 640 000 € comme Chalon l’an dernier ? Moins, plus ? Notre recrutement s’en trouve compliqué.
Peut-on parler de « lendemains qui déchantent » ?
Mon rôle de président est de rappeler les réalités. Nanterre en Euroleague, ce n’est pas un malentendu, mais c’est un challenge titanesque. Certains, à l’extérieur comme à l’intérieur du club, ont pu croire que nous allions changer de statut financier et qu’ils allaient en toucher les dividendes. Mais on n’est pas devenu une entreprise du CAC 40. La JSFN fera avec ses moyens et ses valeurs. Nous avons un devoir par rapport au courant de sympathie généré dans toute la France. Nos supporters, nos amis, doivent savoir que leur club est fidèle à son identité, son authenticité, ancré dans son histoire. Le jour où on l’oubliera, ce sera la fin.
Vous évoquez souvent « l’année de tous les dangers », comment faut-il l’interpréter ?
Structurellement, financièrement et sportivement, on est à flux tendu. Je ne pleure pas, je suis réaliste. Je sens intimement un besoin de resituer, recadrer. Cela avait déjà été nécessaire lorsque nous avions accédé au professionnalisme en 2004. Par exemple, en interne, je souhaite qu’on emploie le « Nous » plutôt que le « Je ». On aura besoin de tout le monde. Puisqu’on est apparemment un modèle pour certains, j’aimerais que chacun réfléchisse à ce qu’il peut apporter dans l’épreuve qui nous attend. On a construit une équipe pour la Pro A, pas pour l’Euroleague où on essayera juste de ne pas être ridicule. Je n’aimerais pas entendre ironiser sur nos difficultés face à Barcelone, Moscou etc…
Sur le parquet, misez-vous aussi sur les valeurs qui ont fait la force de la JSFN ?
On est devenu champion de France parce que les joueurs se sont découverts un projet commun qui dépassait les égos individuels. Il y a, dans l’effectif et le staff, une bonne adrénaline liée au défi sportif qui l’attend. Mais il faudra passer très vite du rêve – le Barça, Moscou – à la réalité de la Pro A, où nous serons attendus partout. Dans une équipe jeune, certains doivent entendre le message, travailler dur et faire preuve d’humilité, afin qu’un Mam Jaiteh par exemple, puisse suivre le chemin d’un Adrien Moerman, d’un Evan Fournier. Il ne faut attendre aucun cadeau. Mais faire preuve de grandes vertus morales à tous les niveaux du club. Ce sont elles qui nous feront franchir les prochains paliers.
Bertrand Merloz.